HISTOIRE CONDENSÉE DU CÉNACLE DE SAMUHApar Heinz R. Ichsburg
On dit que des bibliothèques du monde, celle du Conseiller à Duja Samuha, le siège du Cénacle, est la plus fournie. Dans mes voyages, j'ai appris qu'on y considérait pêle-mêle que les archives y remontaient non seulement à l'annexion de la tribu de Samuha, mais aussi à l'apparition des premiers royaumes Siss, qu'on y retrouverait la seule description contemporaine du météore de Cau'ul, que le plus vieux texte siss s'y trouverait et, affabulation certaine, que certains des documents dateraient d'avant l'invention de l'écriture.
L'exagération est marquante, si ce n'est caricaturale, mais le Cénacle n'a jamais fait le moindre effort pour la corriger.
Cet ouvrage se propose, en contrepied, d'offrir une vision historique de l'évolution du Cénacle de Samuha, basée sur des textes d'archives, des entrevues avec des historiens, mais aussi -et je le préciserai explicitement- des analyses personnelles. De manière condensée, et en plusieurs parties découpées selon des directions et des théories politiques marquantes au sein du Cénacle, je détaillerai chronologiquement l'histoire de cette organisation qu'on qualifie parfois de "Plus vieille guilde de mages".
I) SamuhaIl est de notoriété commune que le Cénacle est une organisation millénaire, remontant à la conquête par des rois siss de la tribu odren de Samuha, aux alentours de l'an 6800 de notre ère. C'est une information vraie, quoi qu'imprécise. Le problème cependant ne vient pas de ces imprécisions, mais du peu d'intérêt porté à la tribu de Samuha elle-même, très intéressante et dont on retrouve certaines traditions au sein du Cénacle moderne.
1) Une direction religieuse, mais pas seulementUn novice qui s'intéresserait à l'histoire du Cénacle et découvrirait en premier lieu celle de Samuha serait troublé. En effet, la tribu odren était extrêmement marqué par la religion, à la différence du Cénacle moderne, soigneusement areligieux. Le gouvernement de la tribu de Samuha était mené par un proto-Cénacle composé de prêtres, qu'on suppose très proches des Etjas de la Déesse.
On sait en effet encore peu de choses sur eux. Ces Eetas étaient le ciment (
litt. brique) sur lequel était basé une société formée de petits agriculteurs et de potiers. On estime qu'aux alentours du septième millénaire, les Eetas ont entamé une étude des arts cléricaux élémentalistes, peut-être en réaction à une période de famine, pour faciliter la vie de leur peuple. Le bouleversement économique provoqué (cf. Diev, notamment
Matérialisme magique et Pragmatisme paysan) a durablement secoué la société de Samuha et a provoqué l'essor d'une classe moyenne de marchands déterminés à arracher aux prêtres les secrets magiques pour s'en servir eux-mêmes. La conquête par les rois siss, quelques années plus tard, ne mit pas un terme à cette entreprise ; au contraire, les Eetas, sous la direction du Conseiller fondateur Saïs, ont très vite négocié avec les marchands, unissant le savoir pratique des uns et les capacités théoriques des autres. C'était la fin du proto-Cénacle, et l'apparition d'un Cénacle plus magique, comme on y reviendra.
Annexe 1 : Divinités
Parmi les esprits vénérés par les Samuhans, on a pu identifier les trois fonctions religieuses classiques des sociétés odrens (fertilité-fécondité, souveraineté juridique et magique, et force martiale, dans cet ordre), avec une légère mutation. La Déesse représente toujours la fonction primaire. On note cependant la croissance assez tôt de la vénération de Bartaan, une divinité associée non plus à la fertilité mais à la conservation de ce qui a été fertile (et donc la poterie, importante chez les Samuhans) et, par conséquent, à des théories de souveraineté. La troisième fonction était assurée par un culte des ancêtres morts au combat, peu développé chez un peuple isolé mais très caractéristique de l'indépendance odren.2) La société de la discussionOn pense que le proto-Cénacle réunissait les Eetas lors de repas extrêmement ritualisés. Ils auraient pu paraître informels aux yeux d'observateurs extérieurs, mais étaient en réalité organisés d'une manière particulièrement précise, parfois même restrictive ; l'Eeta le plus gradé, l'hôte, menait les prières préliminaires, et s'assurait de la présidence et de la bonne tenue des débats qui pouvaient avoir lieu. On signale deux autres fonctions majeures dans ces repas ; celle du Maître, un Samuhan hors du clergé seul capable de déterminer les places des Eetas autour de la table ronde du repas, et celle des Serviteurs, elles aussi assurées par des Samuhans laïcs, véritables espions légaux au service de l'Hôte.
Le déroulement précis des repas a été décrit par J. S. Cizak dans
Les prêtres de la table ronde, aussi ne m'étendrai-je pas sur leur description, mais plutôt sur leurs ressemblances frappantes avec ce qu'on sait des manières de faire du Cénacle. Pour l'observateur en effet, le Cénacle moderne a une organisation extrêmement relâchée ; un Conseiller sert de porte-parole, et la plupart des magiciens présents à Duja Samuha disposent d'un certain regard dans les actions de l'organisation. On dit parfois en plaisantant que les grandes décisions se prennent lors de repas, car c'est ce à quoi ressemblent les débats au sein du Cénacle. Cependant, cette vision omet la présence majeure des factions (cf. mon ouvrage perpétuel
Politique intérieure du Cénacle de Samuha) ; on peut cependant associer la disparition du Maître capable de diviser les groupes et l'essor de ces mêmes groupes (la Conseillère fondatrice Pisha a d'ailleurs, lors des Purges, recréé cette fonction pour s'assurer un contrôle total du Cénacle), de même que la disparition officielle des Serviteurs a marqué leur indépendance croissante.
De manière plus générale, la tenue de repas est représentative de la culture samuhane, très peu axée sur la confrontation et bien plus sur le dialogue entre ses membres. On pense que la situation précaire (agriculteurs des montagnes assez isolés) de la tribu a poussé à cette volonté d'afficher une coopération marquée ; c'est une idée qu'on retrouve de nos jours au sein de la plupart des groupes odrens.
3) La conquête brutale d'une société mal préparéeComme souligné plus haut, la tribu de Samuha a été conquise par les royaumes siss aux alentours de 6800. L'évènement est de notoriété commune chez les historiens, et le Cénacle fait en général commencer son histoire à cet instant-là (le reste et la tribu de Samuha sont par conséquents considérés comme une préhistoire, ou plus précisément un pré-Cénacle) ; on étudie cependant assez peu les raisons qui ont fait que l'expansion des royaumes siss passait par Samuha, ou même leur victoire extrêmement rapide.
La société samuhane, juste avant la conquête siss, est en effet sous le coup de violents bouleversements (cf. supra). La classe moyenne des marchands, réunis en petits groupes d'intérêts, exerçait une pression permanente sur les Eetas pour démocratiser les moyens magiques ; ces derniers, forts de leur autorité, s'efforçaient d'empêcher les marchands de gagner un quelconque pouvoir supplémentaire. Il est hautement probable que, s'ils en avaient eu le temps, l'un ou l'autre des groupes aurait pris le pouvoir : les marchands auraient sans doute fini par gagner leur bras de fer économique, puis à accumuler plus de pouvoirs pour s'organiser en petite monarchies féodales, à l'image des royaumes siss. Ce sont pourtant ces royaumes siss qui profiteront du relatif chaos pour s'installer en maîtres.
Le lecteur attentif aura remarqué que nulle part je n'ai parlé de forces militaires. La raison est bien simple ; Samuha n'en comptait quasiment pas. Isolée dans les collines de l'actuelle Confédération Sacyr, la tribu utilisait pour se défendre tant les pouvoirs de ses prêtres que des chasseurs rapidement mobilisés, plutôt qu'une réelle armée de métier. Leur prospérité due à la magie, elle, attira la convoitise des rois siss voisins. Le premier à les attaquer fut pour ainsi dire le premier à les envahir.