TOUR 1 - FÉVRIER 1493
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Cela fait finalement peu de temps qu’Alexandre VI siège sur le trône de Saint-Pierre, et pourtant l’Italie s’agite déjà dans tous les sens. La nouvelle d’une hypothétique invasion française a eu un effet impressionnant sur tous les potentats de la péninsule. Il est vrai que la réception de nombreux rapports indiquant les tractations diplomatiques de Charles VIII avec les grandes puissances européennes a de quoi inquiéter. Les dernières missives annoncent d’ailleurs que les négociations avec le Saint-Empire progressent, dans un sens qui ne plaira pas aux sujets italiens de l’empereur. Beaucoup d’experts, un brin pessimistes, estiment que l’Italie se verra livrer à elle-même quand les vagues françaises déferleront. On signale d’ailleurs, en ce sens, que des armées françaises stationneraient à la frontière savoyarde. Des éclaireurs ont été envoyés pour estimer les forces du roi de France, et ceux qui sont revenus ont rapporté qu’ils étaient au moins 15 000 hommes, sans compter les très nombreux canons qui accompagnaient les troupes.
Le temps est donc à l’inquiétude pour tous. Face à la menace extérieure, les différentes factions qui composent l’Italie ont donc mis en place des politiques visant à se renforcer économiquement ou militairement. La tempête, si elle est encore loin, se rapproche de plus en plus, effrayant les moins courageux, excitant les plus téméraires.
Au nord de l’Italie La République de Venise a considérablement développé un empire commercial déjà florissant. Les investissements en la matière ont été nombreux, et la richesse de la ville fait pâlir d’envie ses voisins. Pour assurer la sécurité de ses marchands, le Doge a ordonné aux puissants navires de guerre de la Sérénissime de patrouiller en Adriatique, faisant fuir les pirates et autres corsaires qui n’osent pas s’y frotter. Pas d’incidents à signaler concernant les Ottomans, les deux factions restant suffisamment prudentes pour ne pas créer d’évènements fâcheux pouvant faire dégénérer une situation déjà tendue.
Le Duché de Milan, l’autre puissant voisin des Vénitiens, n’a pas chômé lui non-plus. Ludovic Sforza s’est appliqué à agir diplomatiquement en envoyant de nombreuses missives au roi Charles VIII et à l’empereur Frédéric III. Fort de sa puissante armée, le duc de Milan s’est empressé de rappeler que l’Italie n’était pas le terrain de jeu de puissances extérieures. Les manufactures milanaises se sont fortement développées durant ces derniers mois. En ce sens, la production d’artillerie a été fortement facilitée par un ingénieur de génie travaillant pour le duc : Léonard de Vinci.
Le Duché de Savoie et le Marquisat de Montferrat, en première ligne si Charles VIII franchissait les Alpes, se sont efforcés de se préparer du mieux qu’ils le pouvaient face à la menace. Les investissements ont été pléthore pour redynamiser l’économie de la région. Élevages bovins, champs de blé, pêcheries, Blanche de Montferrat a multiplié de judicieux développements pour enrichir le Duché. Cependant, les plus impressionnantes améliorations sont à mettre au crédit du Marquisat, qui n’a pas hésité à emprunter pour multiplier la création d’ateliers, de manufactures et d’exploitations qui font le bonheur de ses sujets.
Sur le plan militaire, l’armée savoyarde a été réorganisée sous la supervision d’un brillant commandant : Pierre Terrail, seigneur de Bayard. Les progrès sont spectaculaires, les troupes du Duché ont vraiment fières allures.
Dans une moindre mesure, le Marquisat de Saluces a imité ses deux voisins. Cependant, se sachant lié au Royaume de France, Ludovic II n’a pas eu à supporter les mêmes soucis que les autres potentats italiens. Le temps n’étant pas à l’urgence, les progrès du Marquisat sont plus lents, mais n’en demeurent pas moins constants.
Plus au sud, la République de Gênes suit la même politique de développement commerciale que son rival vénitien. Si les progrès sont plus modérés, il n’en reste pas moins que la manière de gouverner de Paolo Fregoso porte ses fruits. Les Génois sont inspirés par ce Doge qui ne cesse de déclamer que la République va retrouver son prestige d’antan et dominer la Méditerranée comme elle le fit au faîte de sa gloire. Les démonstrations de force de la marine génoise dans la mer Ligurienne ont vocation à le démontrer.
La cour d’Hercule 1er d’Este est l’exemple culturel à suivre pour toutes les factions italiennes. En plus de sa célèbre troupe de comédiens et de jongleurs, de nombreux artistes de renom se bousculent dans les salons de Ferrare, les spectacles se succédant à un rythme fou. Classiques gréco-romains, pastiches sociaux sur la situation chaotique de l’Europe chrétienne, pièces caricaturant les Ottomans, les sujets de Ferrare ne manquent de rien pour se distraire.
Cependant, le duc n’oublie pas que le spectre français rôde. Se faisant, l’investissement en matière militaire a été conséquent.
Le marquis de Mantoue, allié historique de Ferrare, a multiplié les projets économiques afin de faire prospérer son petit Etat. Grâce à un emprunt auprès de la banque de Sienne, il a pu moderniser les infrastructures de production du Marquisat. En parallèle, sous les ordres directs de François II, commandant reconnu, les forces militaires de Mantoue se sont rapidement améliorées. Peu nombreux, certes, mais très valeureux, ils sont la fierté du marquis.
Il est à noter que ce sont des éclaireurs de Mantoue qui ont permis de recueillir de nombreuses informations sur l’état des forces françaises se trouvant à la frontière.
Au centre de l’Italie et en RomagneLe constat est simple à faire, Sienne est devenue la ville la plus riche de toute l’Italie. Les flux d’argent sont si nombreux que les Siennois ne savent plus où poser leurs yeux, tant les richesses abondent dans la ville. S’il est vrai que de nombreux prêts d’argent sont à mettre au crédit de la Banca Monte dei Paschi di Siena, c’est Pandolfo Petrucci qui est loué pour son gouvernement d’une efficacité redoutable. Le commerce a atteint un niveau inégalé dans l’histoire de la ville, les marchands se succédant à une vitesse folle dans la République.
Cette toute-nouvelle richesse profite évidemment à l’armée siennoise qui s'est vue dotée de tous nouveaux centres d'entraînement et de matériels flambant neufs. Sur les indications du Prieur Petrucci, les troupes n’ont cessé de patrouiller dans la partie nord du territoire, à la frontière florentine.
La République de Florence a connu six mois particulièrement agités. Pierre II de Médicis a rapidement engagé des mercenaires suisses, surprenant tous les potentats italiens qui se demandaient ce qu’il comptait en faire. Tardant de manière irresponsable à répondre, le seigneur de Florence s’est finalement expliqué en indiquant qu’il n’avait recruté ces mercenaires que dans l’optique de se défendre de l’invasion française quand elle viendrait à se produire.
La ville est marquée par des tensions entre les partisans et les opposants des Médicis. La gouvernance de Pierre II est décriée par certains, qui ne comprennent pas pourquoi il a fallu recruter de si onéreux soldats alors que la menace est encore lointaine. Un sentiment anti-vénitien grimpe également dans la ville, des voix s’élevant pour énoncer que la Sérénissime serait la cause des problèmes qui accablent la ville.
Le Pape a commencé sa tournée de ses territoires de Romagne afin de recevoir les hommages de tous les seigneurs vassaux du Saint-Siège. Voulant réaffirmer son pouvoir temporel, il était accompagné par la glorieuse armée pontificale, commandée par son « neveu » Cesare Borgia. Il a cependant confirmé les maisons régnantes ayant assuré leur allégeance au Saint-Siège.
La Romagne voit la création d’un nombre important de manufactures. La production de richesse s’accélère drastiquement dans la région, sous l’impulsion notable de Faenza qui est à la pointe en la matière, suivie par Urbino, Bologne, Rimini et Pérouse. Rimini et Pérouse ont également opéré des renforcements militaires, Baglioni réaffirmant que sa cité était au service plein et entier du Saint-Siège.
Au sud de l’ItalieLongtemps décrié par son peuple pour la cruauté avec laquelle il a mené son règne, Ferdinand 1er de Naples tente par tous les moyens de se rattraper pour contrecarrer la menace française qui se précise.
Le roi aragonais a lancé de grands chantiers afin de s’attirer les faveurs de son peuple. Diminution des taxes, organisation de festivités, réforme agraire profitant aux petits paysans, lutte contre le brigandage, le souverain a envie de se faire aimer et les premiers résultats montrent que ses efforts ne sont pas vains. La popularité de la Couronne remonte doucement mais sûrement.
Parallèlement à cette politique prolétarienne, le roi rédige un décret permettant aux populations dites « indésirables » de l’Empire ottoman de venir s’installer dans le Royaume de Naples. Les négociations avec la Sublime Porte ont abouti, et Bajazet II a autorisé ces populations à quitter le territoire.
Enfin, la réputation de l’armée française faisant craindre le pire, l’armée napolitaine s’est vue considérablement renforcée.
Il est également à noter que des bandes organisées de pillards ont commencé à se développer principalement à Rome, Naples et Florence. Ces bandits se sont principalement attaqués aux pèlerins et citoyens riches de ces territoires. Leur préparation laisse penser qu'ils sont financés par une puissance extérieure. Néanmoins, Ferdinand de Naples, par sa politique de chasse aux brigands, a pratiquement éradiqué la menace sur ses terres. Les troupes napolitaines n'ont cependant pas réussi à les faire parler pour savoir d'où ils venaient.
Le chaos entre Florence et Bologne
Alors que l’année 1493 venait à peine de commencer, Florence et Bologne se retrouvèrent emmêlées dans un indicible chaos.
En effet, les troupes de Giovanni II Bentivoglio firent route en direction de Florence après que le seigneur de Bologne eut déclamé que sa "glorieuse et puissante armée" avait été engagée par le fils de Laurent le Magnifique.
Alors que les troupes bolonaises pénétraient sur le territoire de Florence, un signal d'alarme fut lancé. "Bologne nous attaque !", entendait-on un peu partout dans les rues de la cité toscane. Pierre II ordonna directement qu'on envoya toutes les troupes disponibles pour écraser "cette menace". L'armée florentine, accompagnée des 2000 mercenaires suisses, se dirigera directement au contact des forces de Bologne qui n'eurent pas le temps de comprendre ce qui allait leur arriver. Les officiers bolonais eurent à peine le réflexe de sonner le tocsin qu'ils se firent absolument ravager par la puissance des mercenaires suisses, ravis de pouvoir enfin faire ce qu'ils adoraient plus que tout : tuer. La "bataille" ne dura à peine plus de dix minutes, et rares sont les chanceux ayant réussi à fuir. Au total, on dénombra à peine plus de 50 morts chez les troupes florentines, contre plus de 650 pour les Bolonais et la destruction totale de leur artillerie.
Loin de s'arrêter là, Pierre II de Médicis, tout en s'indignant face à cette "indigne attaque du seigneur de Bologne", ordonna que les Suisses et une partie de l'armée florentine mirent le cap sur Bologne. La ville, à peine préparée, fut assiégée par les troupes de Florence. À l'heure qu'il est, le siège est toujours en place, les fuyards et les troupes bolonaises fraîchement formées tenant tant bien que mal face aux assaillants. Les officiers suisses ne donnent pas plus de six mois à Bologne avant de tomber.