TOUR 4 - AOÛT 1494
Charles VIII s'est fait couronné roi de Naples, les Aragonais sont définitivement chassés - Carte:
Indications concernant la carte :
- Fanion bleu = armée ou flotte française
- Fanion vert = armée ou flotte espagnole
- Double rond = bataille
La zone noire sur le territoire de Venise représente les terres touchées par le brigandage opéré par le condottiere rebelle Bartolomeo d'Alviano.
La zone rose claire sur le territoire de Venise représente les terres occupées par les forces de l'Empire Ottoman.
La zone rose sur le territoire de Milan représente les terres occupées par les coalisés.
La zone pastelle sur le territoire de Gênes en Corse représente les terres occupées par Sienne.
Les défaites récentes des coalisés avaient eu raison de la résistance des alliés du roi Ferdinand 1er d’Aragon. Les Duchés de Milan et de Savoie s’étaient, à la fin du mois de février 1494, retirés du conflit, acceptant bon gré mal gré la proposition que leur avait faite le roi de France. En échange de leur retrait immédiat des combats et de la reconnaissance de sa légitimité sur la Couronne napolitaine, Charles VIII leur avait promis qu’ils n’auraient pas à souffrir d’une quelconque hostilité de la part des forces françaises, prouvant sa bonne foi en retirant les troupes de son cousin d’Orléans des terres savoyardes.
Ainsi, le roi aragonais se trouvait dans une position catastrophique avant d’affronter les armées françaises qui s’approchaient rapidement de sa position en Ligurie. Naples occupée, sa flotte décimée, lui et son armée isolés près de Savone, les motifs d’espoir étaient fort minces pour Ferdinand. L’affrontement proche ressemblait à un baroud d’honneur pour le roi de Naples, malgré le renfort de nombreux mercenaires embauchés à la va-vite. Il ne faisait plus aucun doute pour personne que cette bataille serait probablement la dernière de ce conflit : si Charles l’emportait, à lui le trône de Naples, la voie serait royale jusqu’en Campanie.
Mais alors que les yeux des observateurs se tournaient tout naturellement vers Gênes - d’autant plus qu’on avait appris par de nombreuses missives qu’une coalition sienno-vénitienne semblait s’apprêter à envahir les terres du doge Fregoso -, la surprise fut totale quand l’on fut informé que des troupes armées en grand nombre envahirent sans préavis le territoire du Duché de Milan. Débarrassé de la guerre il y a peu, espérant profiter d’un repos bien mérité, le duc de Milan fut abasourdi quand les premiers messagers arrivèrent à la hâte dans le palais des Sforza pour lui annoncer la terrible nouvelle.
L’Italie semblait donc devoir connaître un nouvel épisode meurtrier, matérialisé par une nouvelle invasion de grande ampleur. La péninsule ne semblait devoir connaître le repos, les appétits toujours plus grands de ses potentats semblant se repaître de ces épisodes sanglants. Les périls les plus dangereux étaient peut-être internes, mais déjà, au loin, on vit apparaître des menaces supplémentaires : la Sublime Porte, lasse d’attendre que Venise lui prouve ses bonnes intentions, décida, en signe d’avertissement musclé, d’envoyer ses troupes pour envahir les territoires les plus orientaux de la Sérénissime.
Un jeune secrétaire florentin se rappela cette fameuse citation de Cicéron «
O tempora, o mores ! ». Il se mit à sourire, stupéfait de voir à quel point la nature humaine ne semblait pas changer le moins du monde.
Au nord de l'Italie :Alors que le sort du Royaume de Naples se jouait en Ligurie et que Gênes se préparait soigneusement à se défendre face aux envahisseurs sienno-vénitiens, une énorme force coalisée débarqua à tire-d’aile sur les terres lombardes du Duché de Milan. L’année 1494 semblait devoir être l’une des plus meurtrières qu’avait jamais connu le nord de l’Italie.
L'affrontement final entre Charles VIII et Ferdinand 1er d'Aragon : la bataille de Savonne (avril 1494) 18 avril 1494, près de Savone, sur le territoire occupé de la République de Gênes, Ferdinand 1er d’Aragon attendait avec une certaine fatalité l’arrivée des armées françaises qui n’étaient plus qu’à quelques heures de marche. Il avait eu l’idée d’attaquer en toute hâte les forces françaises stationnées à Montferrat, mais ayant appris que les troupes du duc d’Orléans avaient rapidement rejoint celles du roi de France, les membres de son état-major lui avaient déconseillé d’entreprendre ce qui s’apparentait à un raid fantaisiste.
Dès lors, il s’était efforcé de préparer ses défenses, en attendant que le Français arrive à lui. Il n’avait aucune nouvelle de sa famille ou de ses terres, hormis celles de quelques pêcheurs locaux qui rapportaient que l’armée du général de Balzac continuait à étendre les possessions françaises dans les Pouilles. La situation semblait tellement misérable, qu’il lui était arrivé de penser que le suicide serait peut-être la plus honorable des façons d’en finir : il se disait qu’on se souviendrait de lui comme on se remémore les héroïques Anciens. Mais rapidement, il avait enlevé cette hypothèse de son esprit, résolu à se battre jusqu’au bout.
Les tocsins sonnèrent finalement, ils étaient là. L’armée napolitaine se mit en ordre de marche, les mercenaires suisses en tête afin de galvaniser des troupes qui se sentaient protégées par la réputation d’infaillibilité de ces hommes qui avaient toujours fait des miracles sur le champ de bataille. Le chef d’état-major de Ferdinand lui rapporta les premiers éléments de la situation : on avait en face près de 12000 soldats français et 6000 hommes venant de Saluces et de Montferrat, en plus d’une cinquantaine de pièces d’artillerie. C’était plus de deux fois l’équivalent des forces napolitaines. Ferdinand avait compris, il sourit, remerciant son général et lui ordonnant de se préparer : « Puisse Dieu être avec nous mon ami. ».
A 14 heure, le combat s’engagea. Il fut terrible par son intensité : les forces napolitaines savaient que leur survie dépendait de cette bataille, ils avaient conscience que le roi de France n’accepterait aucun prisonnier. Les lances napolitaines chargèrent aux cris de « Fert ! Fert ! Fert ! » les forces de Ludovic II qui recula un bref instant, avant de voir les Gascons de Louis d’Orléans arrivaient à sa rescousse. Le flanc gauche fut rapidement enfoncé, ainsi que le centre où les 4000 mercenaires ne pouvaient contenir les 10000 français qui se ruaient à l’assaut, bien soutenus par l’artillerie de Charles VIII. Après une heure, l’issue de cette bataille ne faisait plus aucun doute, les Napolitains s’écroulaient, malgré la force du désespoir. Ferdinand s’apprêta à s’élancer avec le reste de sa garde personnelle lorsqu’un homme lui hurla : « Sire ! Regardez au loin, près des plages ! Des navires ! ».
En effet, à l'horizon, le roi de Naples discerna une quarantaine de navires approchant, certains ayant déjà commencé à débarquer des troupes. S’il ne parvint pas à distinguer leur étendard, il estima qu’il valait mieux aller à leur rencontre que de les attendre alors que le fiasco était proche. Il hurla à ses hommes de se replier, les Suisses restant en poste pour couvrir la retraite des troupes napolitaines. A quelques dizaines de mètres de ces hommes à l’armure étincelante, il vit fondre vers lui un homme à l’allure belle, coiffé d'un splendide panache rouge.
Celui-ci, s’approchant, se présenta : « Sire, je suis Gonzalve de Cordoue. Votre cousin, notre roi, m’envoie pour vous secourir. Les forces de Castille et d’Aragon ont passé les Pyrénées. Il nous faut absolument partir, embarquez ! Vite ! ». Sans se faire prier, lançant un dernier regard de défi à l’armée française, Ferdinand 1er d’Aragon et ses 1500 hommes encore en vie suivirent le général espagnol, quittant les côtes ligures en toute hâte.
Les Français avaient gagné, les Suisses furent massacrés, ainsi que les hommes du condottiere Prospero Colonna (celui-ci fut exécuté sans forme de jugement). En tout, plus de 6500 hommes périrent du côté de l’Aragonais, contre « à peine » 3000 du côté français. Le triomphe était presque total, seul Ferdinand avait échappé à son funeste destin, à la grande rage de Charles VIII. Cependant, la voie était maintenant ouverte pour prendre possession de la Couronne qu’il avait ardemment convoité. Mais tout d’abord, il lui faudrait passer par Rome pour demander sa bénédiction au Saint-Père.
Les combats à Gênes, loin de l'invasion attendue par le Doge : la bataille de Busalla (mai 1494)De l’autre côté de la Ligurie, Paolo Fregoso se démenait pour préparer les défenses de Gênes avant l’invasion largement annoncée des forces coalisées de Sienne et de Venise. Il savait que ces derniers ne reculeraient sûrement devant rien pour mettre à exécution leurs menaces. Dès lors, le doge de la Superbe s’empressa de se renforcer avant la bataille, se remémorant ô combien la défaite récente contre les Napolitains fut humiliante – elle eut au moins le mérite de l’éclairer quant aux failles de son armée. Se faisant, il décida qu’il lui fallait renouer le dialogue avec son protecteur milanais, dont il savait qu’il avait récemment pris sous ses ordres le célèbre condottiere Vitellozzo Vitelli. Ludovic Sforza fut habile, lui assurant qu’il mettrait sous ses ordres ses mercenaires, en échange de la région de la Spezia. Fregoso fut obligé d’accepter, effrayé face aux périls qu’il sentait arriver.
Grâce à l’arrivage de liquidités étrangères, il se permit même de recruter des mercenaires suisses, qu’il plaça directement aux abords de Gênes. L’ami de la Superbe, le marquis de Montferrat, suite à la victoire récente contre le Napolitain, envoya quant à lui son armée pour aider Gênes. Ordonnant à sa flotte de se placer en embuscade, Paolo Fregoso vit fin avril les navires vénitiens poindre au loin, ces derniers mettant rapidement en place un blocus sur les ports génois. C’était un signe, l’invasion allait sans aucun doute commencer.
Plus au nord, les troupes savoyardes de Bayard traversaient le territoire milanais afin de participer à l’invasion en Ligurie. En effet, la République de Venise avait engagé les troupes de la Régente afin de participer à l’opération contre Gênes. Bayard, contraint de suivre les ordres de l’officier vénitien qui l’accompagnait, était inquiet des combats à venir, sachant ô combien son armée était éreintée après les nombreuses défaites du début d’année, ses hommes avaient besoin de repos ; mais les ordres étaient les ordres.
Au début du mois de mai, obéissant aux instructions vénitiennes, il attaqua au nord de Gênes, se doutant que Sienne et le reste de l’armée vénitienne attaqueraient au sud. Le combat s’engagea aux abords de Busalla, une petite bourgade au nord de la capitale génoise. Les 2000 hommes expérimentés de la Savoie s’attendaient à trouver une force équivalente en face, mais leur surprise fut grande quand ils virent 6000 hommes, dont de nombreux mercenaires, qui s’approchaient furieusement vers eux. Il était évident qu’il ne pourrait faire face à une telle force et Bayard questionna l’officier vénitien pour lui demander où étaient les forces coalisées. Le Vénitien lui répondit : « Mais elles sont là mon brave général, vous êtes la coalition. Personne d’autre ne viendra. ». Comprenant qu’il se battrait seul, Bayard, fou de colère, envoya un coup de poing ravageur dans la mâchoire de son cynique chaperon qui tomba par terre, inconscient. Les Savoyards ne pouvaient plus reculer, ils allaient devoir se battre en dépit des circonstances.
Bien logiquement, la victoire fut aisée pour les forces génoises qui repoussèrent facilement les troupes de Bayard, causant plus de 1000 morts à l’armée du jeune général. Ce dernier ordonna à ses hommes de battre en retraite et, se déliant de son engagement vénitien, de rentrer directement à Turin où il expliquerait la situation à sa souveraine.
Les Génois, heureux mais un peu dubitatifs, comprirent rapidement que les annonces faites par les coalisés étaient des leurres destinés à tromper la vigilance des alliés du nord.
Paolo Fregoso, assis dans son bureau, reçut un coursier milanais essoufflé qui lui délivra le message suivant : « C’était un piège. Nous sommes envahis, envoyez-nous Vitelli au plus vite ! Signé, Ludovic Sforza ». Le doge, ulcéré par la perfidie des coalisés qui avaient encore une fois bafoué toutes les règles de l’honneur, ne réfléchit pas et ordonna à tous ses mercenaires de faire route vers Milan, se disant sans grand espoir qu’il n’était peut-être pas trop tard.
L'énorme invasion de Milan par les quatre coalisés, des affrontements terribles : la bataille de Bergame (mai 1494) Pandolfo Petrucci avait encore une fois trompé tout son monde. Pragmatique, le prieur de Sienne avait bien conscience que le Duché de Milan était fortement affaibli après des mois de guerre contre le roi de France. Dès lors, voyant là une occasion d’augmenter – encore une fois – la puissance de Sienne, il avait ourdi avec son allié vénitien - qui venait pourtant de signer un pacte de non-agression avec Milan - d’envahir la Lombardie afin de faire plier Ludovic Sforza. Les deux princes joignirent à leur complot le duc de Ferrare et le marquis de Mantoue qui voyaient là une trop belle occasion de s’enrichir au détriment d’un grand.
Se préparant à l’assaut, la Sérénissime avait décidé d’engager des mercenaires. C’est pourquoi il fut annoncé en grande pompe que le condottiere Bartolomeo d’Alviano et l’armée de Catherine Sforza du Duché de Faenza seraient embauchés pour les six mois à venir. Les potentats italiens, dont le duc de Milan, ne s’en offusquèrent pas plus que cela, sachant que Venise était en guerre ouverte contre Gênes. Ils ne se doutaient pas à quoi serviraient toutes ces troupes.
Le plan était ficelé : les troupes coalisées progresseraient par le sud et par l’est afin de prendre Milan le plus vite possible, espérant jouir de l’effet de surprise afin de faire plier les forces milanaises. Les armées de Sienne, de Mantoue et de Venise se retrouvèrent sur le territoire du duc de Ferrare, afin de progresser tous ensemble. Les forces de Sienne et de Venise seraient à l’avant-garde pendant que les troupes de Mantoue et de Ferrare seraient à l’arrière, afin de couvrir une éventuelle contre-attaque venant de l’ouest.
Progressant rapidement et sans réelle résistance face à une telle démonstration de puissance, le premier vrai affrontement eu lieu à Bergame, à la mi-mai. En effet, le duc de Milan fut prévenu par des messagers que son territoire était envahi : on le sommait de venir en aide à ses sujets. Promptement, il ordonna à ses troupes et à son artillerie de se mettre en marche vers Bergame, espérant intercepter l’avant-garde de l’armée coalisée.
Les deux forces engagèrent le combat, mais même s’il n’y avait là « que » les troupes de Sienne et de Venise, elles étaient six fois plus importantes que celles du duc Sforza, qui ne pouvait compter que sur sa forte artillerie pour essayer de les retenir. Cependant, cette dernière ne pouvait faire de miracles et l’armée milanaise fut inéluctablement ravagée. On compta près de 2000 morts milanais, et une dizaine de pièces d’artillerie détruite. Les coalisés connurent globalement le même nombre de pertes, mais cela semblait peu par rapport aux nombreux régiments qui leur restaient. Leur avancée pouvait continuer et Milan ne semblait plus loin.
Ludovic Sforza, au loin, savait que son temps était compté. Il avait envoyé des missives à ses alliés, mais il était probablement trop tard. Il ne savait pas que Gênes, par la voix de Vitelli, avait déjà répondu à son appel. Les mercenaires de la Superbe, en partie engagés par Milan, volaient à son secours.
L'arrivée des mercenaires génois, conflit avec l'arrière-garde coalisée : la bataille de Plaisance (juin 1494) Dès que Fregoso eut acté que « l’invasion de Gênes » était selon toute vraisemblance une supercherie, il prit la décision de renvoyer Vitelli auprès de son maître afin de lui permettre de tenir Milan. Il espérait secrètement qu’en donnant à Sforza la possibilité de gagner du temps, il parviendrait à réunir les puissances du nord afin d’aider le malheureux milanais. Se faisant, il donna à Vitelli le commandement de ses mercenaires suisses en plus.
Le célèbre condottiere progressa rapidement au nord de la Ligurie jusqu’à arriver aux frontières de la Lombardie. Près de Plaisance, ses éclaireurs lui indiquèrent qu’ils voyaient au loin des troupes se dirigeant vers le nord, vers Milan. Il ordonna à ses hommes de se mettre en ordre de bataille afin d’engager le combat avec ce qui ressemblait à une arrière-garde. Le plan était simple : faire une percée au travers de ces troupes afin de progresser jusqu’à la forteresse milanaise afin d’aider Ludovic Sforza à tenir la ville un peu plus longtemps.
François II de Mantoue, qui menait l’arrière-garde coalisée et donc les forces de Mantoue et de Ferrare, se retourna dès qu’il entendit le bruit des tambours de Vitelli. Il ordonna promptement à ses troupes de se préparer à recevoir l’assaut des mercenaires, qu’il évalua à vue de nez à 4000 hommes. Pas dupe de la fébrilité des troupes du duc de Ferrare, il savait que le combat serait très dur et que les retenir tenait probablement de la chimère.
La bataille tourna rapidement à l’avantage des forces mercenaires qui enfonçaient irrémédiablement les lignes coalisées. Les hommes de Vitelli eurent pu infliger de plus solides dégâts s’ils n’avaient pas vu au loin surgirent l’armée de Catherine Sforza qui volait au secours de ses alliés. Sachant qu’ils ne feraient pas le poids face à ce nouveau rapport de force, le condottiere ordonna à ses troupes de faire une percée sur le flanc droit défaillant des coalisés. Les mercenaires parvinrent à passer et se hâtèrent de rejoindre au plus vite Milan, voyant au loin arriver les troupes de Sienne et de Venise qui s’apprêtaient à mettre le siège sur la ville. On dénombra 1000 morts chez les mercenaires contre 1500 pour les forces coalisées. Le marquis de Mantoue ne se priva pas de maudire son allié de Ferrare, responsable selon lui de l’issue de la bataille.
Ironiquement la victoire, d’un point de vue stratégique, fut pour la coalition puisque les mercenaires ne parvinrent pas réellement à endiguer l’avancée des troupes coalisées. Cependant, d’un point de vue tactique, la réussite de cette percée de Vitelli s’apparentait à un véritable exploit. Elle permettait à Milan de se préparer au siège de manière plus sûre.
Ludovic Sforza reçut avec un grand soulagement ce qu’il restait des troupes de Vitelli. Mais il savait cependant que la ville ne résisterait pas plus de quelques mois si des renforts n’arrivaient pas pour les aider. Le sort du Duché n’était plus entre ses mains, à son grand désespoir.
Des troubles frappent le territoire de Venise : les Ottomans passent la frontièreNombreux étaient ceux qui se demander quand les menaces de Bajazet II seraient mises à exécution : leur appel a été entendu. En effet, suite à l’attaque perpétrée sur de nombreux navires marchands ottomans par des bâtiments sous pavillons vénitiens, le Sultan avait menacé la République de Venise de représailles si elle ne lui apportait pas la preuve que ces bateaux avaient été envoyés par une puissance souhaitant créer le chaos, comme le déclarait la Sérénissime.
Le doge Barbarigo avait promptement envoyé Pietro Bembo, son ambassadeur, à Constantinople afin de lui assurer que toutes les preuves nécessaires lui seraient remises. Venise soupçonnait en effet Gênes d’être derrière cela, ce qui pouvait expliquer ses mouvements à l’encontre de la Superbe. Cependant, en se détournant de son objectif initial pour se focaliser sur l’invasion du Duché de Milan, Venise a, selon Bajazet, trahi ses engagements envers la Sublime Porte. Ayant été patient pendant plus d’un an, le Sultan décida d’envoyer une armée pour occuper les territoires les plus orientaux de la République de Venise. Un émissaire fut envoyé directement au palais des Doges avec une proposition simple : payer pour rembourser les bateaux marchands coulés ou apporter des preuves de la machination qu’ils ont dénoncé. Sans cela, les troupes ottomanes continueraient à avancer.
Une mauvaise nouvelle ne venant jamais seule, Agostino Barbarigo a appris que le condottiere Bartolomeo d’Alviano s’est récemment rebellé, quittant l’armée coalisée afin de s’installer dans les terres au sud de Venise. Exprimant sa colère d’avoir été engagé et ayant attendu, en vain, la paie qui lui fut promise, il décida de se payer lui-même sur les possessions de la Sérénissime. Ses troupes ravagèrent les villages et la campagne au sud de Padoue. Les sujets de Venise étaient extrêmement inquiets face aux récents événements, se demandant où était l’intérêt de s’étendre si le Doge n’est pas capable de protéger ce que Venise possède déjà.
Autres nouvelles :Avant que les combats ne frapassent le territoire milanais, certains événements se produisirent dans cette Italie du nord qui venait de voir la guerre avec les Français se terminer. La paix étant signée entre les principaux belligérants, des territoires changèrent de main et des indemnités de guerre furent versées.
Ce fut notamment le cas pour la Savoie. En effet, le Duché accepta de céder la partie sud de son territoire que se partagèrent équitablement les deux alliés de la France : les Marquisats de Saluces et de Montferrat. Ce dernier négocia également, au nom des dommages causés sur son territoire pendant l’occupation milano-savoyarde, des compensations avec le Duché de Milan qui accepta de lui livrer des pièces d’artillerie. Le paiement des indemnités de guerre n’étant pas terminé, Ludovic Sforza accepta de livrer sa fille Bianca en otage au jeune marquis Guillaume IX, voulant prouver sa bonne foi.
La question des juifs expulsés de Savoie fut aussi réglée. En effet, de nombreuses puissances (Saluces, Milan, Faenza) se proposèrent pour les recevoir. Mais alors qu’ils semblaient se diriger vers le territoire proche le plus riche, à savoir le Duché de Milan, les nouvelles de la guerre leur parvinrent. Se faisant, ils se décidèrent à finalement rejoindre le Marquisat de Saluces, la proximité aidant.
La Savoie justement pansa ses plaies. La Régente, après avoir accepté les onéreuses demandes des alliés du roi de France, s’employa à remettre son Duché en ordre. Un besoin d’or s’était fait ressentir, expliquant le louage des troupes de Bayard à Venise, afin de redynamiser l’économie de la région. De nombreux ateliers de tissage furent mis en place, dans lesquels furent recrutées en priorité des veuves de soldats tombés à la guerre afin de produire des draperies. Blanche de Montferrat voulut s’assurer par ce moyen que les familles ayant connu des pertes dans le conflit ne se retrouvèrent pas dans la misère.
Du côté de Montferrat, un des grands gagnants de l’invasion française, l’heure ne fut pas à s’occuper des finances, les indemnités de guerre ayant été suffisantes pour se remettre des dommages causés par l’occupation. Guillaume IX s’efforça surtout de renforcer une armée qui avait été décimée pendant la guerre, recrutant une pléthore d’hommes vaillants prêts à rendre fier le Marquisat.
Au centre de l'Italie :Les combats faisant rage au nord, la situation fut relativement calme durant ces six derniers mois en Romagne et en Toscane. Les potentats romagnols, non-impactés par les batailles septentrionales, et les États pontificaux se concentrèrent sur le développement économique d’une région devenant, au fil du temps, la plus riche de toute l’Italie. Trois événements vinrent cependant troublés cette relative quiétude.
L’arrivée de l’armée française à Rome (juin 1494) :La victoire définitivement acquise contre Ferdinand d’Aragon, Charles VIII avait tout de même vu ses rêves de s’emparer de l’Aragonais s’envoler en étant témoin de l’arrivée de la flotte de Gonzalve de Cordoue qui débarqua en Ligurie afin de sauver le roi de Naples déchu. Cependant, il fallait le reconnaître, son invasion était une réussite puisqu’il avait éliminé tous ses ennemis et pouvait à présent voguer librement vers Naples afin de s’emparer d’un territoire que de Balzac avait largement pacifié en l’attendant.
Toutefois, il était nécessaire, avant de descendre à Naples, de se rendre auprès du pape afin de recevoir sa bénédiction et lui faire accepter le serment d’obédience au roi. Charles VIII décida donc de débarquer à Ostie pour se rendre, avec ses 10.000 hommes, à Rome. Alexandre VI le reçut et accepta toutes ses demandes, bien conscient qu’une telle force serait capable de piller Rome s’il n’accédait pas aux exigences de Charles VIII. Le roi de France lui demanda également de l’accompagner pour le sacrer roi de Naples, ce à quoi le Saint-Père lui répondit qu’il serait plus profitable à son image que cela soit l’archevêque de Naples qui le couronna, afin de renforcer les liens du nouveau roi de Naples avec le clergé local et son nouveau peuple. Le roi de France, déçu face à ce refus, se rangea cependant derrière l’avis d’Alexandre, ne voulant plus s’attarder.
L’armée française prit donc le chemin du sud et entra bientôt en Campanie, où Robert de Balzac attendait avec impatience son souverain.
L’envoi d’une troupe française à Mantoue :François II de Mantoue avait joué avec le feu en envoyant ses nombreux espions aux abords des armées françaises. S’il avait pu récolter des informations précieuses, il fut dénoncé par Boniface III de Montferrat sur son lit de mort. Il reçut dès lors une missive du roi de France, lui enjoignant de lui rendre les documents saisis en échange de sa miséricorde. S’il avait répondu favorablement, le marquis de Mantoue « oublia » de lui envoyer les informations promises, ce qui entraîna la colère d’un roi de France qui avait été, de son avis, bien trop patient.
C’est pour cela qu’une fois à Rome, et après avoir reçu la bénédiction papale pour son entreprise, il envoya le général Gilbert de Montpensier à la tête d’une troupe de 2000 hommes sur les terres de Mantoue. Il ordonna à Montpensier d’y rester tant qu’il n’aurait pas récupéré les documents volés par les éclaireurs de Mantoue. Le marquis étant absent, Montpensier s’empara de son palais, toujours à la recherche de ces documents.
Un émissaire fut sur le champ de bataille en Lombardie afin de remettre à François II un ultimatum : rendre les documents ou payer une compensation dans les six mois. Sans réponse de la part du marquis, Montpensier promit qu’il ravagerait la capitale du Marquisat.
Des soulèvements en Corse :En tout début d’année, Pandolfo Petrucci, le roi des complots, avait réussi à envahir la Corse grâce à la complicité de la puissante flotte vénitienne. Sienne avait en quelques semaines réussi à conquérir une bonne moitié de l’île, bien aidée, il est vrai, par les soucis métropolitains de la République de Gênes. Mais alors que la situation semblait se stabiliser pour les occupants siennois, les nouveaux plans de leur maître les firent rapidement quitter les lieux. Ils ne laissèrent sur place que de maigres forces, peu optimistes quant à leurs chances de conserver ce qu’ils avaient acquis. Évidemment, ce qui devait arriver se produisit : les Corses se révoltèrent contre leurs envahisseurs.
Par nature indomptables, les habitants de l’île génoise, rassérénés par les nouvelles venant du continent annonçant que l’invasion n’avait pas eu lieu et que le territoire de Gênes était libre, se décidèrent à agir. Des foyers de résistance émergèrent un peu partout, prenant rapidement le dessus de soldats siennois submergés face à la détermination des autochtones. Les territoires sous contrôle siennois s’amoindrirent rapidement jusqu’à ne plus se cantonner qu’à la région entourant Bonifacio. Les troupes de Petrucci, en grande difficulté, attendaient les ordres du Prieur, sachant qu’ils ne parviendraient pas à tenir encore longtemps.
Autres nouvelles :À Sienne, Pandolfo Petrucci, bien conscient que ses manœuvres audacieuses et sa tendance à vouloir toujours plus de pouvoir commençaient à créer des troubles au sein de sa propre cité, entreprit de dépenser des sommes faramineuses afin de contenter les inquiets et les mécontents de sa politique. Une grande partie de son attention fut surtout concentrée sur la région de Pise, par essence indépendantiste, pour faire comprendre à ses habitants la volonté particulière du Prieur de l’inclure dans son « grand projet ».
À Mantoue et à Ferrare, de multiples messagers firent la navette entre les deux villes et Vienne. Des chroniqueurs rapportèrent que l’accession au pouvoir du nouvel empereur Maximilien fit germer de nouveaux projets dans l’esprit des deux seigneurs.
En Romagne, Rimini, Urbino et Pérouse se concentrèrent sur le renforcement de leurs armées, s’inspirant de la politique suivie par le Saint-Père durant les six derniers mois. Les armées de toute la Romagne avaient vraiment belle allure, même si elles étaient encore relativement à distance de la puissante armée de Faenza. Le Duché d’Astorre Manfredi, quant à lui, s’efforça de développer encore un peu plus ses capacités de production, pourtant déjà considérables. Un chantier sans précédent consistant en la création de nombreuses manufactures et ateliers d’artisanat fut lancé. La plupart des observateurs s’accordèrent pour énoncer que ce projet entérinait Faenza comme la puissance financière majeure en Italie.
Au sud de l'Italie :Le temps de la domination aragonaise sur le trône de Naples était arrivé à son terme. Charles VIII, victorieux, allait se faire couronner roi de Naples, réparant l’affront fait cinquante ans auparavant à la maison d’Anjou. Ferdinand 1er avait cependant survécu, grâce à l’arrivée des forces espagnoles.
Charles VIII, couronné roi de Naples : Palerme, dernier bastion aragonais.Arrivant de Rome, Charles VIII fit son entrée triomphale à Naples le 13 juin 1494. Le même jour, l’archevêque de Naples, Alessandro Carafa, le couronna roi de Naples : son entreprise était une réussite absolue. Il s’empressa de nommer Robert de Balzac vice-roi de Naples, lui expliquant qu’il gouvernerait le territoire pour lui lorsqu’il serait reparti en France.
En effet, il fut mis au courant par des messagers que les armées de Ferdinand II d’Aragon et d’Isabelle 1ère de Castille avaient franchi les Pyrénées, bafouant le traité de Barcelone qu’ils avaient passé en janvier 1493. Ses vassaux réclamaient son retour au plus vite pour bouter les envahisseurs hors de France.
En attendant, il décida qu’il lui fallait faire un tour de son nouveau royaume napolitain. Accompagné de son cousin le duc d’Orléans, il entreprit de se rendre en Sicile afin d’être mis au courant de la situation. En effet, Gonzalve de Cordoue, général du corps expéditionnaire espagnol, avait entrepris de mettre en place de grosses défenses pour empêcher l’avancée des troupes françaises déjà sur place.
La flotte espagnole mouillait à Palerme, faisant de facto de la ville la capitale du roi aragonais, empêchant par ce moyen les navires français d’approcher et d’entreprendre un blocus de l’île. Les deux flottes s'étaient au cours de l'année déjà affrontées à l'ouest de la Corse, la bataille s'étant soldée par un statuquo.
Charles VIII décida d’envoyer un émissaire auprès du
Gran Capitán, afin de tâter le terrain.